PEINTURE

Les peintures récentes de Mireille Henry se présentent comme des surfaces brossées sur lesquelles un objet parfois identifiable – une maison, un nid, un chien – ou un signe, une présence, semblent s’être défaits de leurs contours, émergeant d’un rêve sourd et hors pesanteur. Délestés de leur matérialité, ils affleurent à la surface du papier sans que rien d’eux ni autour d’eux ne soit précisément défini. Les formes étirées dans les couleurs, les couleurs rabattues comme dans la brume, une échelle de lecture troublante inscrivent ces visions dans un registre non descriptif mais suffisamment allusif pour que s’y perdent les regards et que s’esquissent des narrations intimes.

Donner à voir et retenir, désigner et cacher à la fois, ouvrir, recouvrir… brouiller sciemment les pistes des affirmations et ne consentir, finalement, qu’à la tension féconde des lectures incertaines… A peine énoncée, la forme naissante se laisse défaire par le pinceau qui va-et-vient de tout son large, étirant la couche de peinture fraîche dans le flou et délavant la surface par de nombreux passages. L’image se constitue dans cette addition de mouvements qui, paradoxalement, l’allège peu à peu; l’eau pure est aussi un médium lorsqu’elle rince la couleur et produit, par soustraction, les traces d’un signe nu. Ou qu’elle coule, liquide et frontale, sur la surface du papier.

Puisant à la source de sa perception émotionnelle, Mireille Henry laisse se construire et se déconstruire la peinture, attentive à saisir les signes d’une reconnaissance mutuelle, la convergence entre ce qui a pris forme et un désir enfoui, révélé par cette forme même. L’image, qui vient de loin, s’arrête aux frontières de la lisibilité. Là où le spectateur prend la route pour y déchiffrer ses propres récits.

Au travail de création proprement dit, s’ajoute celui de l’assemblage des peintures, associées parfois à des photographies, en diptyques, triptyques et polyptyques. Confrontées entre elles à la recherche de rapports significatifs, elles révèlent la complexité de leurs identités changeantes et réaffirment le règne de la subjectivité et du caractère transitoire de la perception.

La peinture de Mireille Henry est silencieuse; ou du moins son langage et son propos sont-ils en partie retenus dans les profondeurs; et lorsqu’ils se frayent un chemin jusqu’à la surface du papier, c’est pour nous inviter à rejoindre nos propres mystères, guidés par ses images troublantes.

Marie-Fabienne Aymon