Papiers

L’exposition de Véra Molnar reprend le fil des expositions d’été consacrées à la grande famille des abstractions géométriques. Dans ce contexte, les oeuvres de François Morellet, Aurélie Nemours, Marie-Thérèse Vacossin, John Carter et les artistes des Editions Fanal ont été présentées à la Fondation Louis Moret au cours de ces dernières années. Cette branche radicale de l’art poursuit des développements que rien n’arrête et surtout pas la mode, en ce que le caractère à la fois universel, fondamental et intemporel de l’analyse géométrique du réel la dépasse; ce langage, né de l’esprit scientifique qui s’impose dès le début du XXè siècle, a transformé notre rapport aux formes en l’ouvrant aux synthèses de l’abstraction. L’architecture et le design contemporains lui ont donné sa fonction utile.

Véra Molnar est née en 1924 à Budapest – Hongrie et travaille aujourd’hui encore à Paris où elle s’est établie en 1947, juste après la guerre. Le couple d’artistes qu’elle forme alors avec son mari François Molnar s’engage d’emblée dans des recherches expérimentales si radicales qu’elles impliquent le refus éthique de toute exposition jusqu’en 1973. François Molnar cesse d’ailleurs sa pratique artistique en 1966 pour fonder un laboratoire de recherche sur la vision et la perception au CNRS, tandis que Véra développe ses expériences d’un art systématique fondé sur une méthodologie pré-établie. Longtemps elle travaille avec ce qu’elle nomme alors « la machine imaginaire », c’est à dire un système de règles – ou de dérèglements- qu’elle fixe et applique à des séries de dessins pour en obtenir des variations. Mais en 1968 elle a accès à la fabrique d’ordinateurs Bull à Paris, puis au centre informatique de la Sorbonne. Le contact avec cette machine précipite ses recherches et lui permet de donner forme à des systèmes que la machine applique à la fois plus efficacement et plus aléatoirement qu’elle ne pourrait le faire. Utilisés à l’époque par les scientifiques, les computers intéressent un certain nombre d’artistes visuels d’avant-garde. Dès lors, des groupes, des unités de recherche et des expositions auxquelles participe Véra Molnar créent l’effervescence autour de ces pionniers: le groupe Art et Informatique à l’Institut d’ Esthétique des sciences de l’art à Paris, les expositions Ordinateur et Création Artistique à l’Espace Cardin (1973), Art et Sciences à Gentilly et Transformations, sa première exposition personnelle à Londres (1976) fondent, entre autres, la légitimité de ce nouvel outil de travail. Séries, variations, mise en oeuvre de combinaisons infinies, dimension aléatoire du jeu à travers les règles, le travail de Véra Molnar explore la géométrie avec autant de rigueur que de fantaisie. Parmi ses thèmes, les déambulations infinies de la ligne et les combinaisons de carrés sont nombreux.

L’oeuvre de Véra Molnar inclut de la peinture sur toile et sur papier, des dessins, des collages, des éditions d’estampes et de portfolio et quelques objets. Après l’importante exposition que le Kunsthaus Konstruktiv à Zürich lui a consacré au début de l’année 2015, voici un ensemble d’oeuvres sur papier. Les doubles dates inscrites sur les estampes renseignent sur l’époque du projet, qui peut être ancien, puis son actualisation et son édition à l’atelier Fanal de Bâle. Ainsi 8 lettres T, 1960 ou Fission, 1966 dont elle livre, quelques décennies plus tard, une version sur papier dont on mesure l’intemporalité. Les quatre variations des Carrés en 2 positions fonctionnent sur la progression des proportions des carrés dont les combinaisons de présentation, sur la base ou sur la pointe, créent des clés de répartitions du noir et du blanc.

A base de carrés découpe huit formes dans quatre carrés rouges et les dissémine sur un papier de format carré tandis que les deux versions de Coupés en 8 confrontent le format du papier blanc à son équivalent, un carré rouge découpé en 8 rectangles disséminés, formant des compositions dynamiques. Ces feuilles sont les toutes dernières estampes de Véra Molnar réalisées par à l’Atelier Fanal, tout comme Que sont les U devenus?.Elles s’ajoutent aux recherches antérieures de l’artiste sur les lettres, le T et aussi le M comme Malevitch, Mondrian et Molnar (voir à ce propos l’installation OTTWW (Ode To The West Wind) présentée dans le nouvel accrochage du MNAM au Centre Pompidou à Paris).Sortis du rang et 25 rectangles, reprennent des compositions typiques des suites qu’elle obtient dans les années 1985 à partir des programmations faites sur son ordinateur. De même que les Quelques lignes à Julije (Knifer, artiste et ami des Molnar) dont les variables ont été émis en 2007.

Aux éditions limitées de ces planches s’ajoutent ici quelques encres d’époque : Trapèzes, 1973, un projet de peinture sur toile et les trois Structure de quadrilatère, composés avec la table traçante vintage d’après des ordres séquencés par l’artiste. (Sur demande, d’autres encres sur papiers peuvent être consultées.) Véra Molnar se défend de tout message ni d’aucune analyse sémantique. Seul compte le jeu de l’esprit et des formes. « Je me situe entre les trois « con » : les conceptuels, les constructivistes et les computers. ». Ainsi parle malicieusement Véra Molnar.

Marie-Fabienne Aymon

Voir le dossier Véra Molnar sur le site du Centre Pompidou (rechercher.action)
Entretien avec Jean-Pierre Arnaud (cité par Vincent Baby in Véra Molnar, Lignes et méandres, Fondation Salomon, 2004