OCEAN NAIL POLISH PAINTINGS

Ocean Nail Polish Paintings, un titre en anglais qui parle d’océan, une mer de bleus, de verts, de gris verts, de bleus clairs et d’outremer, de profondeurs et de surfaces… L’océan dont il est question ici ne figure pas sur une carte de géographie ni dans un paysage, c’est une gamme de couleurs qui regroupe les teintes des Nail Polish, les vernis à ongles qui constituent le matériau de la peinture de Nicole Hassler. Cet océan parle du corps et de ses artifices, ce qui le recouvre, le pare, le colore. La couleur appliquée au corps des femmes, jusqu’au bout des ongles.

Le vent disperse tout; rien n’est plus éphémère qu’une collection saisonnière imaginée par des créateurs dans le vent, mais rien n’est plus durable ni plus humain (sans distinction de genre) que le désir de séduction. Les fabricants de cosmétiques y pourvoient et produisent les matières utiles. Nicole Hassler les examine aussi pour ce qu’elles sont et, en les déplaçant dans le champ de l’art, les rend à leur nudité objective: couleur et matière. Ainsi de la série des Make-up initiée dans les années 95′ et qui explore les teintes de la peau: Fonds de teint, des monochromes de grands formats, Collection Printemps-Eté inspiré des pâles carnations des Annonciations de la Renaissance, puis Compact Powder (2002) sous forme de tondi (un format rond, une autre référence à la peinture classique), toutes séries réalisées à partir d’enduits cosmétiques.

Aux textures crémeuses proches de la peinture à l’huile viennent par la suite s’ajouter les vernis durs et brillants, les laques impeccables; les Nail Polish Paintings apparaissent dans les années 2000, rouges bien sûr, en déclinaisons infinies d’orange et de rose, mais aussi d’improbables teintes phosphorescentes dénichées à Londres, ou multicolores, telles les 240 teintes d’une marque fabriquée à Berlin où Nicole Hassler séjourne à l’occasion d’une bourse de création. Car travailler avec des matériaux « différents » implique des démarches, des voyages, des transactions avec les fabricants, un univers parallèle. L’art contemporain est un observatoire de phénomènes propre à recycler, dans un langage d’auto-référence, toutes les industries du réel. Nicole Hassler détourne la fonction – se peindre les ongles – et met en scène le moyen, le vernis à ongles, pointant au passage ce qui nourrit cette réalité: les artifices de la séduction et les codes éphémères du paraître.

Peintes sur des supports de fibre de verre alvéolée employée dans l’architecture, ses pièces se présentent sur des rectangles – trois formats et deux épaisseurs – déployées en résonance avec le mur, l’espace, l’architecture d’un lieu. Les quatre installations ONPP, par exemple, sont constituées de 26 pièces accrochées selon une grille précise. Elles fonctionnent comme des compositions modulées par des principes picturaux classiques – équilibre, tensions, quantité, valeurs – et réfèrent avant tout à la peinture et à son pouvoir de transformer l’espace.
Elles assimilent les préoccupations des coloristes telles qu’énoncées dès la fin du XIXè siècle dans un langage qui réfère à l’art minimal de la fin du XXè siècle; le sujet est évacué au profit de l’objet en soi dans sa simplicité, sa radicalité, sa seule présence. La facture est minutieuse, neutre et sans aspérité; les paillettes, les étoiles s’il y en a, sont constitutives du matériau tel qu’on le trouve sur le marché et les couleurs sont indiquées selon leur référence de fabrication.

Entre le fabricant du produit cosmétique et la femme anonyme qui portera l’une de ces teintes comme une parure, il y a le geste artistique de Nicole Hassler qui tend un miroir. On y voit les couleurs changeantes de l’océan et l’éternité d’un besoin d’amour.

Marie-Fabienne Aymon