LE NUAGE D’INCONNAISSANCE

Il y a un peu plus d’une année, Vincent Fournier installait ses peintures à Sion, au jardin du couvent des Capucins, dans la Maison des Evolénards délaissée depuis des décennies. Vidée, balayée et aérée, la bâtisse aux petites chambres fanées et aux murs lépreux devenait le lieu d’une exposition bouleversante, de celles qu’on n’oublie pas tant les images, l’espace et le peintre lui-même se confondaient dans un instant d’une justesse totale. Ceux qui ont vu en 2005 l’installation que Vincent Fournier présentait à l’ancienne Fabrique de drap à Sion en ont gardé un souvenir comparable.

Après une exposition ce printemps à la galerie Michel Foëx à Genève avec Philippe Deléglise, parallèlement à l’exposition collective Mon Tan Dun qui se tient actuellement à Sierre jusqu’au 22 novembre, Vincent Fournier arrive à la Fondation Louis Moret et la rencontre de son oeuvre avec cet espace-écrin ne pouvait être que fertile. Et riche. Mais pauvre, forcément pauvre. Saint François, Sainte Claire et Dame Pauvreté ne laissent pas de doute quant à ce minimalisme de la forme, l’économie du geste, la simplicité des matériaux, ce vocabulaire abstrait jusqu’à l’amaigrissement et parfaitement assimilé par l’histoire de l’art moderne et contemporain, qui ne s’y identifie toutefois pas exclusivement.

Car Vincent Fournier est peintre et travaille la matière, mais il parle de contemplation. Il en parle tout le temps et partout à travers quelques thèmes ; la dualité sous différentes formes, l’empreinte ou veronica, la kénose – notion théologique de l’humilité de Dieu – le Nuage d’inconnaissance d’après le texte d’un mystique anonyme du XIIIè siècle, nuage entre Dieu et soi qu’il faut frapper avec les mots, ou encore le Nuage d’oubli, à mettre entre le monde et soi.

Peu de thèmes mais sans cesse renouvelés par le dialogue avec les matériaux – un papier ancien jauni, une belle feuille épaisse ou un carton aux contours évocateurs-. Il n’est pas rare que la peinture repose quelques années avant de trouver son achèvement aux yeux de l’artiste, lorsqu’une ligne de lumière rencontre une surface peinte qui dormait, lorsqu’un cadre arrive à point, souvent présenté à l’envers de ses dorures ou qu’une empreinte se révèle à qui sait la voir. C’est ce qui donne à l’œuvre de Vincent Fournier cette qualité de présence dans la plus humble de ses pièces.

Cette exposition est à l’image de son travail ; elle offre des approches contrastées d’abondance et de silence, des oppositions qui font sens. Deux murs, à l’entrée et près de l’escalier, s’intitulent Ex-voto, comme ces accrochages votifs où se tiennent ensemble les images populaires de la gratitude. Chacune est autonome dans sa signification mais se renforce par la promiscuité. Leur nombre amplifie leurs intentions, ce sont des images abstraites toutes habitées d’une pensée.

Au mur opposé, la proposition est radicale ; une aquarelle de grand format de la série Kénose sur laquelle s’inscrivent deux traces descendantes, à la fois puissantes et subtiles, qui canalisent la lumière en leur centre, et la font remonter en sens inverse. Elle dialogue avec deux petites abstractions typiques du vocabulaire de Vincent Fournier, qui sont peintes au verso de deux images pieuses dont le peintre cherche à révéler la nature de symbole spirituel tout en protégeant la représentation figurée, cachée, qui lui reste précieuse. Plusieurs des peintures présentées ici contiennent ce type d’images secrètes.

Une installation met en scène dans un dialogue silencieux deux couleurs, brun et bleu, la terre et le ciel, deux figures, celles de Saint François et de son double féminin Sainte Claire, leur voeux de pauvreté, la table et la palette du peintre comme la métaphore d’un repas sacré. Une communion qui fait écho, sur le mur d’en face, au Pain du ciel, l’hostie brisée selon le rituel de l’eucharistie.

La plus secrète des images de cette exposition est un petit monochrome blanc sur un grand mur blanc; c’est l’essence d’une présence qu’il faut chercher en se penchant pour distinguer l’empreinte d’une silhouette. Celle qu’une image de Marie a laissé sur une plaque de verre sous laquelle elle se tenait depuis bien longtemps. Le cœur immaculé, un monochrome blanc ; l’image est agie. Non par le geste du peintre mais par d’autres contingences que son regard révèle.

L’œuvre de Vincent Fournier se situe dans la tradition d’une abstraction minimaliste très proche de la ligne d’exposition que tient la Fondation Louis Moret depuis de nombreuses années; il est d’une grande beauté et d’une sincérité absolue ; le discours de foi profonde qui l’accompagne, assez rare dans l’art contemporain, en est la source profonde et indissociable.
Une source qui s’échappe aussi et abreuve librement tous ceux qui savent voir.

Marie-Fabienne Aymon