Dessins, gravures

Trois dessins au crayon sur papier de grands formats et une vingtaine de gravures, -vernis mou, lithographie, bois gravés- composent la deuxième exposition d’Irène Wydler à la FLM. On y retrouve le geste caractéristique de son dessin, fouillé, sensible, fait d’accumulations de signes, et sa façon de questionner la forme en laissant apparaître les traces vivantes de sa naissance et de ses métamorphoses.

En effet, l’œuvre exclusivement graphique d’Irène Wydler se développe, depuis plusieurs années, autour du thème de la transformation, du mouvement, de ce qui se fait et se défait constamment, autrement dit de l’impermanence. Formes, espaces, structures, tout, dans ce travail, est soumis à cette loi et est marqué par les vibrations de réseaux linéaires qui jamais n’enferment rien dans une définition absolue. Les volumes restent translucides, les contours se fondent dans la lumière et les formes les plus stables, comme le cube, contiennent en elles-mêmes les marques d’une dissolution imminente. Car chez Irène Wydler la forme est toujours passagère et l’espace vibre encore de ce qu’il a contenu et qui déjà s’y est dissout.

Lorsque elle organise le monde dans ses grands dessins, partant d’un paysage architecturé ou de formes organiques, elle montre la déambulation, la gravitation ou le point de déséquilibre juste avant le basculement. Et même lorsque ces masses sont par nature plus résistantes parce que liées à la géométrie, elles émergent d’un treillis de lignes sensibles, un réseau serré de signes qui donnent à ces objets la vibration des structures vivantes.

Il y a quelques mois, Irène Wydler a rencontré dans un livre d’Italo Calvino, “Les villes invisibles”, l’écho de ses propres préoccupations. On y parle de villes qui se constituent par strates et réseaux comme une métaphore de ce qui tisse le monde et les relations humaines. L’une de ces villes s’appelle Ottavia et donne son nom à une série de gravures au vernis mou sans qu’il s’agisse d’une quelconque illustration. Seulement une résonance, chez l’artiste, de sa propre perception selon laquelle tout s’organise en liens ténus, en enchevêtrements sous-jacents recouvrant de précédentes permutations. C’est là exactement son propos quand l’on voit comme ses formes se génèrent elles-mêmes en se démultipliant en d’innombrables reprises et c’est en cela que le texte de Calvino fait écho à son processus de travail. Car chez Irène Wydler une gravure nourrira un dessin qui conduira à la lithographie pour revenir encore au dessin; elle mène ses différents travaux en même temps, travaille dans deux lieux simultanément (à Lucerne et au Tessin), mêle dans ses titres l’allemand et l’italien, avance ainsi en laissant dans ce qui s’ensuit les traces de ce qui précède.

Soste e passeggeri signifie littéralement “abris et passants”, ce qui reste et ce qui bouge, Grenzweg veut dire “chemin de frontière”, ce qui mène ailleurs, Tra cielo e terra “entre ciel et terre”, flottement et solidité… Il s’agit là d’une suite de lithographies où l’on voit une même pierre varier subtilement. Les différences sont peu marquées mais toute la personnalité de l’artiste est contenue dans cette attention portée à l’infime transformation au sein même d’une série d’images, d’un état à l’autre. Car rien ne disparait vraiment sans conséquence, ne serait-ce qu’en laissant une empreinte pour d’autres formes à venir.

Mfa