AILLEURS

Après celles de 2002 et 2006, la nouvelle exposition d’Anne Peverelli porte pour la première fois un titre, Ailleurs. Un mot trop ouvert pour être précis; Ailleurs, c’est là où je ne suis pas, c’est un autre lieu où j’irai peut-être, l’écart entre ici et là-bas… Quel est donc cet Ailleurs qui fait mine d’esquisser d’autres espaces ?

On sait que la peinture d’Anne Peverelli fuit toute idée de représentation ou de narration, qu’elle s’appuie sur des faits réels, des histoires de gestes de peintre à partir des fondamentaux « point, ligne, surface ». Et qu’elle délègue à ses matériaux- acrylique, huile, laque, gouache, aquarelle, crayon, carbone, craie grasse – toute latitude expressive propre à leur nature. Ainsi chaque chose est à sa place et joue son rôle. Par exemple, ce qui est liquide coule, le ruissellement de l’eau sur la vitre et celui de la peinture sur la toile participent de la même loi physique. On est bien dans le concret, et cela même sans sujet.

Et pour tracer des lignes, il y a beaucoup de moyens; ajouter de la couleur au pinceau mais aussi l’ôter en grattant, ou frotter pour dessiner avec le carbone, ou l’omettre avec des réserves de réseaux de scotch. On pourrait énoncer toutes les combinaisons et leurs coefficients afin de prendre la mesure des possibles, quel est le sens de tout cela ? Rien de grave mais l’essentiel. Habiter la forme qui se fait sans vous mais à travers vous, s’effacer devant la force de la répétition et saisir ses moments de grâce, maîtriser l’accident, parfois à la limite de l’ingratitude. C’est une peinture qui se constitue dans un rapport pragmatique au réel et qui débouche sur une infinie poésie, une vraie présence, une mystérieuse adéquation. On admire la maturité visuelle d’Anne Peverelli qui impose sans crainte la puissance des gestes fragiles, les allées et venues du haut vers le bas, de l’est à l’ouest. Un rapport à l’espace, à l’architecture, au construit et à la destruction, aussi. Les grilles, les réseaux, les trames et les profils, les passerelles, les passages…

Et les Trajets… Le film qui passe ici en boucle documente l’intervention artistique réalisée en 2010 par Anne Peverelli au nouveau Collège du Léman à Renens. Elle consiste en deux fresques murales élaborées à partir des relevés des trajets effectués par tous les utilisateurs des lieux – élèves, professeurs, employés, direction – . Tous ces dessins fondus ensemble et mis à l’échelle constituent un « gribouillis » parfaitement réaliste ; le motif désigne concrètement les traces superposées de tous les déplacements. Mais, lorsque un motif trop évocateur surgit à l’improviste dans un travail qui réfute toute intention narrative, lorsque ce qui devait être peinture pure semble vouloir raconter… un paysage urbain par exemple ou le clair-obscur traditionnel… c’est là peut-être qu’Anne Peverelli parle de se déplacer Ailleurs… Sans le chercher mais en acceptant d’y aller voir, de renouveler l’angle de vue, de penser à entamer un voyage de retour vers l’idée de sujet. Anne Peverelli est sans doute sur le point d’aller voir ailleurs si elle y est…

Marie-Fabienne Aymon