Friches

François Pont revient chez Louis Moret avec des oeuvres récentes, des gravures incisives, des peintures allusives, où l’on retrouve son sens du rythme, sa patte féline qui griffe à l’encre noire, son pinceau qui tempère de gris bleus liquides, des fusains anthracites et des éclats de couleurs fraîches comme un jardin. L’espace de son imaginaire est ouvert, les titres l’indiquent ; il y a là des paysages – Vallée, Montagne, Lagune, Friche – qui recouvrent des mouvements -Traversée, Ouverture, Passage – ou des processus, Germination, parfois proche du corps – Regard, Souffle.

Parmi les premières émotions artistiques de François Pont se trouvait une peinture ancienne représentant un Saint Antoine dont seul le paysage, que le personnage traversait, avait retenu son attention. Déjà l’espace et le territoire s’imposaient comme des projections de la vie la plus organique qui soit, celle des végétaux. Dès lors la croissance, la vitalité, la prolifération indomptée des plantes ont marqué son travail en encourageant un geste instinctif et libérateur.

Puis le paysage s’est constitué et la nature primordiale s’est transformée. S’il vit et travaille à Londres où il soigne son jardin à l’anglaise, c’est à Berlin il y a quelques années, à l’occasion d’une résidence d’artiste de six mois dans l’atelier mis à disposition par l’Etat du Valais, que François Pont découvre les friches. Ces no man’s land au coeur de la ville, ces ultimes espaces de liberté pour les bonnes et mauvaises herbes qui surgissent sans conditionnement sont de plus en plus rares.. Elles le touchent au coeur d’autant que, imprévisibles et généreuses, ces friches constituent une belle métaphore de la disposition totalement ouverte du peintre à ce qui va naître et qu’il ne connait pas encore.

Car ces images, qu’elles soient de gravure ou de peinture, sont structurées par des accents gestuels, traversées de lignes passagères, construites autour de surgissements, d’irruptions dans l’espace. Elles sont dynamiques, inquiètes au sens premier du terme, elles montent, descendent, creusent et s’éloignent dans une perspective intuitive, et semblent pouvoir capter toutes les vibrations sensibles qui innervent l’espace.
En même temps, et c’est leur force, elles se tiennent à ce point d’équilibre, parfois au bord du chaos, sans jamais y céder. Car il y a, derrière cette belle énergie vitale, une pratique d’atelier exigeante qui réclame des protocoles, un savoir-faire et une maîtrise que la gravure impose.
Parce que cette technique est laborieuse, elle se combine parfaitement à la spontanéité de la peinture au pinceau, à la légèreté des lavis transparents, nuancés, appliqués sur un mince papier de Chine sur lequel François Pont réalise son tirage d’encre noire, incorporant le tout dans un même passage sous presse. Ainsi, par cette intervention non reproductible, chaque gravure, limitée ici à 7 exemplaires, redevient unique.

Les peintures autorisent les plus grands formats où l’on retrouve le dialogue du noir
structurant et mesurant l’espace, avec des plages de couleurs dansantes, qui éclairent ces visions fragmentées du réel.

Les paysages, les friches, les lagunes et les jardins de François Pont sont les territoires féconds dont il trace à grandes traits les sillons d’encre et les axes mouvants, ses repères dans ce vaste monde.

Marie-Fabienne Aymon