Quand fond la neige, où va le blanc?

Avant d’être le titre de cette quatrième exposition d’Anne Peverelli à la Fondation Louis Moret, Quand fond la neige, où va le blanc? est celui d’une réflexion sous la forme d’une thesis rédigée récemment dans le contexte d’un master en Art in public sphere, dans laquelle elle entreprend non pas d’écrire sur sa pratique, mais de pratiquer, à travers le langage, l’équivalent de ce qu’elle expérimente à l’atelier en peinture. C’est la petite phrase, attribuée à Shakespeare, qui en a donné l’impulsion. Cette exposition coïncide avec l’agenda de cette thesis et, si elle n’en fait pas officiellement partie, en est le versant somme toute indissociable, puisque Anne Peverelli est avant tout peintre.

Quand fond la neige, où va le blanc ? Il y a là deux mots entre lesquels la question se balance. La neige, substance du silence, magicienne du recouvrement qui, autant qu’elle cache, rend et se rend visible. La neige, belle métaphore de la peinture. Et le blanc, la non-couleur qui les contient toutes, radieuses, la non-image de l’absence, de l’effacement comme du commencement, le rien heureux.

Pour sa thesis qui éclaire sa pratique de peintre puisqu’elle procède de même à l’atelier, Anne Peverelli collecte ses sources, qui toutes font référence à la neige, parmi des citations littéraires, des bulletins météo, beaucoup de notations retrouvées dans 20 ans de carnets d’atelier (où l’on voit que le temps qu’il fait importe car il transforme le paysage, et donc le visible, et donc l’esprit) ainsi que diverses réponses à la question posée autour d’elle de savoir Quand fond la neige, où va le blanc ? – .

Ce corpus sera traité comme un accrochage: on associe, on met en tension, on relève des contrastes ou on induit des complicités, c’est la quête d’un sens inédit qui se révèle à la lumière de certains rapprochements, c’est l’individualité de l’image au contact du collectif dont elle est issue. Et c’est ce qu’on voit ici. En même temps chacune de ces peintures existe en soi, détachée, seule. Extraite de la masse de ce qui a précédé et a été écarté mais qui fait dans l’atelier un terreau fertile duquel naîtront d’autres images. Dont il ne restera encore que le meilleur à force d’être trié, sans concession à l’esthétisme ou à la séduction, à la poursuite du vrai.

Dans ce travail largement fondé sur le réalisme – entendez la confiance, le respect qu’ Anne Peverelli porte à la seule matérialité de la peinture, à sa capacité à couler de haut en bas, à recouvrir, à distribuer, à strier l’espace, à l’entrebâiller – il y a le rapport équitable de l’artiste qui, renonçant à la préséance de l’idée, délègue sa création à la compétence des matériaux conjugués à ses propres gestes, à leur expérience, et ne se réserve au final que la capacité à évaluer la qualité de cette conjonction. La nature et l’architecture dans leurs expressions sans limite ont formé son jugement. Le silence de l’atelier, la poésie, l’observation et l’écriture créent les conditions.

Des très grands formats – une peinture au bâton à l’huile pour un monolithe puissant et sensible – aux papiers les plus délicats, des réseaux de peinture blanche sur fond sombre, ou pas, des parcours, des grilles, des bulles, jamais plus de deux couleurs, coulés ou grattés, un espace non-figuratif, ambigu tant il ouvre de lectures pour qui veut y voir des villes, des paysages, des routes, des avalanches, la pluie, des larmes, le vent.. La neige. Mais surtout un langage.
Quand le sujet se dérobe à la vue, il reste la peinture. C’est peut-être là que va le blanc quand fond la neige..

Marie-Fabienne Aymon