Martin Mc Nulty
Né en Angleterre en 1966
Vit et travaille à Paris.

DREAMTIME
PEINTURE, INSTALLATION
DREAMTIME

C’est dans le temps du rêve, Dreamtime, que Martin McNulty situe l’origine des formes, innombrables et indescriptibles, qui constituent le corpus de sa création. Dans la mythologie des Aborigènes d’Australie, le temps du rêve est l’ère qui a précédé la création du monde, lorsque tout n’était que spirituel et immatériel. L’écrivain-voyageur britannique Bruce Chatwin a décrit dans le livre Song lines (Le chant des pistes) comment les aborigènes marchent et s’orientent à travers le pays en chantant, pour ne jamais l’oublier, l’histoire de la création, le dreamtime… L’espace de la Fondation Louis Moret devient aujourd’hui le territoire d’une mise en scène qui organise le désordre initial, celui du ventre de l’atelier d’où sont issus chaque objet ; dessinés, polis et sagement peints ou à l’inverse, informes, déchirés, accidentés et soufflés, tous participent de cette invocation de la mémoire, une ligne de chant continue et hétérogène. Les lignes qui fusent sur les murs, les Song lines, redessinent et commentent les axes de l’architecture du lieu pour une installation sur mesure.

Que disent-elles du magma originel dont elles sont issues? Dans l’atelier de Martin McNulty, les objets entremêlés sont difficilement identifiables : tant de couleurs vives, de matières et de matériaux, tant d’éclat, de paillettes et de joie baroque auxquelles se mêlent cendres, miettes et brisures. Extraire des pièces et donner forme à la profusion, piocher dans le grand vrac et en sortir, selon une liste extraite d’un texte de l’écrivain Joy Sorman « coraux magiques, roses des sables, amibes flashy, lombrics aveuglants, protozoaires, spermatozoïdes, cristaux de sel, champignons hallucinogènes, berlingots phosphorescents, guimauves et méduses, chromosomes fluos ». A mi-chemin entre gourmandise et répulsion, délicatesse et overdose, joaillerie, déchet, miracle et apocalypse, l’abondance même de cette production la situe dans les références de la culture pop, celle qui est issue de la société de consommation plutôt que de la célébration de la nature. Car ici la couleur est artificielle, les résines sont synthétiques, les paillettes excessivement chatoyantes. Dans son texte à propos du travail de Martin McNulty, Sébastien Gokalp, conservateur au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, note que les artistes du Pop art, du post-modernisme comme Jeff Koons, Franz West et tous ceux qui se sont attaqués à la notion de goût en explorant l’idée de kitsch ont montré « à quel point l’exacerbation de clichés pouvait être une arme redoutable pour décaper le regard ».

Une série de dessins, Architectonic floats, met en scène des illusions d’espace, sortes de bases de constructions à la fois abstraites et futuristes, qui se jouent de la tension entre la forme qui domine, soulignée à l’aérographe, et l’environnement dans lequel elle flotte. Nous sommes là dans l’univers d’une fiction lisse comme ces dessins industriels qui illustraient, à travers des objets intrigants, l’idée d’un bonheur à venir. La mélancolie n’est pas loin. A ces constructions virtuoses de lignes emboitées en un seul mouvement, un geste qu’on retrouve aussi dans certains objets très dessinés, s’oppose le démantèlement total de la forme : Strings est une installation de cordes aux couleurs saturées de pigments, emmêlées dans une disposition sans forme fixe, posées sur une étagère. En anglais l’expression « on the shelves », (littéralement « sur les étagères ») signifie « laissé là pour plus tard »… Cette interprétation radicale de l’objet passé au hachoir et qui n’est plus que lignes, couleur, plaisir, destruction, reconduit la recherche de Martin McNulty du côté de la peinture la plus informelle, celle de Pollock peut-être. Dans le temps du rêve d’avant toute forme.

Marie-Fabienne Aymon

PEINTURE, INSTALLATION

Alexandra Roussopoulos
L’exposition actuelle présente les développements récents d’une démarche initiée dans les années 90’: quatre toiles Archipel, six gouaches-collages Espace inventé, six gouaches de la série Évolutive. Depuis 2006, l’identité plastique d’Alexandra Roussopoulos s’est précisée; ses peintures ne trouvent plus leur limites dans le châssis rectangulaire classique. La question du format se pose avec la série des Euclidiennes pour évoluer jusqu’aux Archipels, formes organiques, ondulantes et sans plus aucun angle. Une surface presque immaculée, accidentée parfois de minuscules imperfections – une bulle séchée, un petit rien matériel – repousse la couleur jusqu’aux bords du tableau et sur sa tranche, pour finir en halo lumineux sur le mur blanc. Cette apparente immatérialité est en réalité fort solide: les châssis de planche pèsent leur poids, et le fond des toiles est sous-tendu par un collage de magazines féminins dont les pages ont disparu sous la peinture. Une manière de faire taire le brouhaha des images du paraître et de les remplacer par une nouvelle fluidité, une géographie réinventée. Les Espaces inventés montrent comment Alexandra Roussopoulos positionne ses formes fluides et organiques dans des espaces et des vues en perspective, des architectures et des constructions de droites, et comment elle se joue de cette rigueur en y introduisant la lumière, la couleur et la fantaisie de « représenter » sa peinture.

Martin Mc Nulty
Martin Mc Nulty est sculpteur et peintre. La force des circonstances a précipité son évolution artistique lorsqu’un incendie a détruit ses toiles il y a quelques années et qu’il a dû, sous peine de désespoir, regarder autrement les résidus de ce désastre. Les fragments calcinés de ses peintures auxquels il a redonné sens en les présentant sous forme d’objets non identifiés, lui ont permis, à l’époque, de trouver la voie d’un travail actuel autour de l’objet sans objet, fabriqué cette fois. Hors définition et sans référence, précieux et baroques ou humbles et modestes, les objets sont imaginés et dessinés, puis polis, moulés, colorés, floqués, hors hiérarchie assurément. Dans cette accumulation, chaque fragment de réel qu’on pensait indifférencié recèle en réalité les indices d’une histoire qui se réécrit à chaque instant; ces objets sont l’alphabet dans lequel Martin Mc Nulty pioche les mots haut en couleurs de ses indéfinissables poèmes de balsa, de résine et de plastic.

Brillants comme des bijoux ou fondus dans l’ensemble, tous les objets cohabitent, se parlent et s’influencent. Aucun d’eux ne ressemble définitivement à ce qu’il est dès lors qu’on le rapproche d’un autre. A fortiori, les installations de Martin Mc Nulty renforcent les variables: Cascade appartient à une série de suspensions qui prennent la forme idéale de chaque mur- les architectes ne s’y sont pas trompés qui l’ont publiée dans la revue Architectures à vivre – tandis que Short pieces est installé directement au mur. A ce principe d’accumulation qui fait du spectateur un chercheur de trésor répondent des installations épurées de deux ou trois pièces – End Games, Watt, Oh les beaux jours, tous titres empruntés au théâtre de Beckett – qui, par le choix qui est fait de les isoler, révèlent et accentuent leur singularité. Là dessus, les dessins de Martin Mc Nulty montrent l’esprit de construction sans limite qui sous-tend l’ensemble de ce travail.

Marie-Fabienne Aymon

A l’occasion de cette exposition, un catalogue est édité: Alexandra Roussopoulos. Textes d’Elisabeth Lebovici et Brooks Adams, 2008.
Un film a été réalisé: Alexandra Roussopoulos, Martin Mc Nulty: Orient et Occident
Réalisation: Bruno Joly, 21′, 2008 (Canal 9)